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Dauphiné Libéré 1982

Des rameurs forçats à la sous cadence et au fractionné

Aix-les-Bains. - Il n'est jamais bon de se complaire dans les souvenirs, fussent-ils glorieux, car ressasser sur les années enfuies accélère le vieillissement et nous ne voudrions pas qua ce papier incite nos amis sportifs à se pencher tristement sur leur passé.
Nous n'avons pu cependant résister au désir et au plaisir de comparer la mise en condition des rameurs d'hier et d'aujourd'hui et cette enquête n'a pourseul et unique but que d'intéresser tous ceux qui suivent de très près... ou de fort loin l'aviron, sport aixois par excellence, du fait de la riveraineté de la ville avec la lac du Bourget.

Rameurs forçats

Pour parler des années 20 et des suivantes, nous ne pouvions que rendre visite à Charles Massonnat, médaille d'or des entraîneurs de France, sélectionné olympique en 1928 à Amstardam, 5 fois international, médaille d'or de la Ville d'Aix-les-Bains et officier du Mérite sportif.

"Evoquer ma jeunesse est tout d'abord se replacer dans le contexte économique de l'époque et des très longues journées de travail. En effet, nos entraînements ne pouvaient se dérouler que tard dans la soirée, bien après la sortie du chantier ou de l'atelier et nous étions pressés de monter dans le bateau pour profiter au maximum de la présence de tous les équipiers car. un huit est un tout indissociable auquel tout changement même passager nuit au rendement et à l'efficacité. Cet aviron que nous aimions était cependant un sport complémentaire d'autres activités physiques et si les Berthet pratiquaient la course à pied, si Vulliard (dit la Tome) s'adonnait au cyclisme, la plupart d'entre nous jouaient au rugby.
Notre préparation intensive commençait en avril et nous étions immédiatement soumis à des efforts excessivement durs et prolongés.
On gagnait Terre-Nue en tapant à 30 coups minutes et on ramait "comme des sauvage", d'autres que moi ont dit "comme des forçats".
Bien entendu, aucun canot pour nous escorter et les conseils étaient hurlés du bord à l'aide un porte-voix.
Thonin, à la fois notre coach et notre équipier, décidait de "donner à fond pendant 2 minutes" et on devait, suivant sa merveilleuse expression, "entendre l'eau chanter sous le bateau".
Chacun d'entre nous peinait mais possédait sa grosse dose d'amour propre... ou d'orgueil et personne n'osait dire "Stop" ! Alors, nous revenions au garage au même rythme, sans coupures d'effort ni temps de récupération. A un tel régime, nous terminions très fatigués et après trois soirées identiques à plein régime, nous avions plaisir à voir "les moutons friser sur le lac" car c'était le repos forcé... Un repos que la météo pouvait seule nous accorder.
En toute honnêteté, les courses étaient bien moins dures que ces entraînements absolument démentiels auxquels nous nous soumettions.
Notre style rudimentaire nous suffisait et l'essentiel était d'avancer... et d'impressionner l'adversaire. Nous n'avons vraiment commencé à ramer avec des principes bien définis qu'avec Théo Campardon qui avait été conseillé par un très grand champion Roccazzani. Nous nous sommes alors efforcés de "ramer long", de "revenir doucement sur la coulisse" et de "chercher la puissance maxima dans l'eau".
Cette formation à la dure n'avait pas que des inconvénients et beaucoup de clubs enviaient notre punch et notre réussite.
Nous nous complaisions dans "Faction psychologique" et les jours de régates, nous passions... en démonstration le long de la berge de façon à influencer les autres concurrents prêts à monter au départ.
Comme le déclarait un jour le fameux Marchal au père Vario qui critiquait assez vertement notre allure : "Ça rame peut-être mal... mais ça bouge et ça avance !".
En course, une seule et unique consigne "partir devant" pour éviter toute surprise et voir venir. Notre force et notre volonté faisaient le reste.
Sur le plan de la discipline alimentaire, la diététique était inconnue et on se sustentait largement et sans retenue de façon à récupérer les calories perdues ou pour emmagasiner l'énergie nécessaire.
Gaby Thonin était tout de même un fameux meneur d'hommes et lorsqu'il déclarait d'une voix de tenor : "Si ça ne marche pas... j'aime autant aller piocher me vigne", on était prêt à réussir l'impossible.
Un mot encore sur la "yole", bateau aujourd'hui abandonné (ou presque) chez les seniors. Elle nous donnait de la force, beaucoup de musculature et j'estime que la travail dans un tel bateau était très salutaire et payant.
Je terminerai par le problème héroïque des déplacements.
Nous n'avions ni camion ni remorque pour transporter les bateaux du garage jusqu'à la gare et le huit démonté était tiré, poussé, halé sur les vélos pour être chargé dans le fourgon des marchandises.
Le débarquement était une autre page de bravoure aussi spectaculaire. Nous parcourions parfois des centaines de mètres à travers les voies de garage, nous tordant les pieds sur le ballast et risquant è chaque faux-pas de faire du petit bois avec notre embarcation.
Pourtant, ce sont des moments exaltants et à les évoquer, je ressens encore beaucoup d'émotion et un peu de fierté.
(A SUIVRE).

René MARIN.
La méthode des "rameurs forçats" devait certainement avoirdu bon puisque pendant une bonne dizaine d'années l'aviron aixois a régné' en maitre dans le
Sud Est en France... et s'est distingué à l'étranger, le 8 du Rowing-Club ayant au l'insigne honneur de représenter la France aux Jeux Olympiques de 1828.

(image: le 8 sélectionné pour 1928)
Pourtant, le sport n'est pas quelque chose de figé et l'aviron a évolué et s'est littéralement transformé depuis cette période faste et légendaire.

VERS L'AVIRON MODERNE

II est difficile, voire impossible de cerner avec une grande précision l'évolution de l'aviron français obligé de s'adapter constamment au matériel moderne ainsi qu'aux exigences de la haute compétition.
Allemands ou Russes ont peu à peu révolutionné la manière de ramer et depuis un quart de siècle, . chez les Tricolores, les "off days" ont souvent succédé aux heures glorieuses.
Pourtant, la Commission technique nationale où l'on retrouve beaucoup d'entraîneurs éminents a essayé, au fur et à mesure de la progression des ténors mondiaux, de dégager des plans de travail qui sont en constante mouvance mais dont les grands principes demeurent.
Laissons à Gérard Bichet, conseiller technique départemental, 5 fois international et entraîneur du 8 de l'Entente Nautique champion de France 1981 avec son ami Pierre Janin le soin de nous donner un aperçu de la méthode a employer actuellement pour la formation des rameurs.
"En moins de vingt ans, on peut dire que l'aviron a subi une transformation évidente. Je veux en apporter un double témoignage.
En 1968, l'entraînement d'hiver que dirigeait M. Charles Massonnat était déjà parfaitement conduit. Nous effectuions 5 sorties par semaine pour arriver progressivement à un entraînement journalier.
Venait alors une trêve d'un mois environ qui précédait l'approche des compétitions.
Le bateau court avait trouvé... ou retrouvé ses lettres de noblesse et, en haut lieu, le 8 paraissait moins "considéré" qu'autrefois. Cette optique a fait couler beaucoup d'encre car il ne suffit pas d'accoler deux "quatre" de grande valeur pour construire avec certitude un huit de valeur internationale.
On insistait dans les stages d'entraîneurs sur le développement des qualités physiques et l'acquisition de la technicité et de l'endurance. Nous accomplissions donc beaucoup de parcours en sous-cadence sur de longues distances : 12 à 18 km l'hiver.
Ainsi se dessinait peu à peu une réforme profonde des méthodes d'entraînement qui a débouché sur les schémas actuels.
L'étalement de cet entraînement où la musculation systématique s'est installée s'est encore accentué : sorties journalières avec deux coupures nettes de 10 jours en janvier et en mai. Songez que le nombre de kilomètres parcourus sur l'eau est énorme et nous ressemblons quelque peu aux cyclistes qui préparent leur saison en "avalant des bornes".
Le 8 seniors que j'ai eu le plaisir immense de mener au titre national en 1981 a sans doute tracé quelque 2000 km sur les eaux du lac, ce qui représente concrètement la distance en ligne droite d'Aix-les-Bains à Sebastopol

Pour parler en termes plus techniques, nous travaillons sous surveillance médicale étroite, spécialement en séances de 25 minutes à "cadence maximum dans l'eau" et en "fractionné" à cadence de course à un mois du terminal.

Les rameurs lèvent le pied à l'approche de la compétition à la fois pour.recharger leur potentiel nerveux et pour préparer leur psychique. Pour reprendre une expression de M. Charles Massonnat, l'entraînement auquel nous soumettons les garçons est, aujourd'hui encore plus dur que la compétition elle-même qui demande surtout un  "sureffort" relativement court et à un moment précis.

Dans le domaine de la diététique, nous n'imposons aucun régime spécial tout en recommandant aux rameurs d'éviter les excès et les meilleurs menus nous sont préparés lors des stages fédéraux de longue durée.
(A suivre)
René MARIN.
 

Le rameur moderne, poursuit Gérard Bichet n'est plus une bête de somme a condamnée à vaincre... ou à mourir et on ne jette dans la haute compétition que des hommes bien affûtés et minutieusement préparés. C'est pourquoi, il faut rendre hommage aux grands anciens qui compensaient leur technique assez primaire par une énergie formidable. Un mot encore sur les conssignes  données aux rameurs avant Je monter dans le bateau. Elles n'ont guère varié, même si. les conseils sont adaptés. aux adversaires ; partir en tête pour contrôler les opérations est la règle d'or.
De ce départ raté ou réussi dépend généralment la suite de la course. II constitue un "sprint initial" au cours duquel les pulsations cardiaques atteignent 180 à la minute.
La cadence type en course est de 36 coups-minute, cadence qui sera maintenue et dépassée si on doit placer une attaque ou si on doit réagir à la remontée d'un concurrent.

MATÉRIEL ET CHRONOS
II est bien évident qu'on ne peut comparer les bateaux actuels avec ceux fabriqués il y a 60 ans: Le matériel a évolué d'une façon considérable tant en qualité qu'en légèreté. Un a vu apparaitre dans la construction la fibre de carbone et des bois pressés ou collés aux caractéristiques mécaniques exceptionnelles ainsi que les portants réglables.

Un bateau est toujours à "régler" minutieusement et ces réglages ne sont pas le fait du hasard. Ils répondent aux lois de la physique et il faut se "sentir bien" dans ce bateau pour trouver l'efficacité maximum.
En sport, le chrono est encore le plus sûr moyen d'établir une échelle des valeurs, même si en aviron les conditions de course ou de test ne sont jamais rigoureusement identiques. Voici à titre indicatif quelques chiffres qui nous ont été communiqués.
En 1929, le 8 d'Aix "tournait" sur 2 000 m en 6'24" mais les repères topographiques étaient approximatifs et on peut considérer que la distance réelle devait être de 2015 ou 2020m.
Quant aux équipes championnes de France, elles  passent  au 1 000 m entre 3'12" et 3'14" ce qui est déjà excellent sur notre lac.
En 1968, on a officiellement couru le 2 000 m en 6'04" et en fractionné  le 8 champion de France 1981 a réalisé 1'21 "02 sur 500 m. Actuellement, les temps sont surtout pris l'hiver (sur 4 km) et l'été (sur 2.000 m) cette dernière distance étant habituelle et réglementaire pour les régates de compétition seniors.

Les anciens de l'Entente venus qui du club nautique qui du Rowing sont d'ailleurs unanimes sur un point de repère précis.
Une équipe qui abat le 2 000 m en 6'10" a une chance de se vêtir de tricolore... et cette donnée empirique s'est presque toujours vérifiée.

LES ANNÉES PASSENT... L'ESPRIT RESTE
De cette enquête sans prétentions, nous retiendrons une grande leçon de sagesse que nous a donné notre ami de toujours Charles Massonnat, orfèvre en matière d'entrainement
"Le meilleur entraineur qui soit peut mettre dans le meilleur des bateaux des rameurs médiocres
il n'aura jamais de résultats !"
C'est pourquoi le problème proposé aux responsables d'équipes reste le môme: "former des garçons solides, puissants, résistants et dotés d'un moral de gagneurs.
Le "nez" de bateau qui assure la victoire sur le fil, la longueur à reprendre au favori pour le battre, se grignotent centimètre par centimètre et d'abord avec une farouche soif de vaincre.
La plus sophistiquée clos techniques n'est que spectacle si elle est mai appliquée et c'est pour-quoi je continue à croire et mes jeunes successeurs avec moi que la route du succès passe dans ce sport particulièrement éprouvant par la volonté constante de "se battre" et de réussir. Dans ce domaine, l'Entente ne s'en sort pas mal du tout...

 Rene Marin